Le 68 Grande Rue à Besançon abrite un trésor caché pour les amateurs de joaillerie : l’atelier de Bijouterie Joaillerie de Nathalie Bonnemaille.

Passionnée par son métier et par la création, elle a officié pendant 16 ans au 65 rue des Granges avant de déménager en 2022. Elle exprime sa fascination pour la joaillerie, un métier qui lui permet de se réinventer constamment, en trouvant sa source d’inspiration dans sa capacité à toujours vouloir innover et s’émerveiller.

Que ce soit dans ses créations personnelles ou les créations sur-mesure qu’elle réalise pour ses clients, elle met en œuvre une véritable expertise technique et un sens aiguisé de la création.

Nathalie Bonnemaille crée des pièces uniques qui racontent l’ouverture, le rapport à la nature et l’évolution de notre société, qui reflètent la métamorphose de la matière au fil du temps, comme le bois fossilisé et opalisé.

La transformation de la matière, fruit de millions d’années d’évolution est l’un de ses sujets de prédilection. Son travail est également le résultat d’une profonde réflexion sur l’art et sur le contexte sociétal en corrélation avec le mouvement déconstructiviste. C’est dans son nouvel atelier de la Grande Rue que nous l’avons rencontrée. Un nouvel espace fonctionnel et lumineux, un bel écrin pour recevoir ses clients et mettre en valeur ses créations !

Comment devient-on bijoutière joaillière ? Est-ce une envie de fabriquer des bijoux depuis toujours ou est-ce une fibre créatrice qui trouve son chemin au gré du hasard ?

Je ne connaissais pas la joaillerie… En fait, j’avais trois critères : je voulais faire quelque chose de manuel, de minutieux et d’artistique.

Donc ça aurait pu être de l’horlogerie ? Ou n’importe quel métier d’art ?

Non, pas vraiment. De l’ébénisterie peut-être. De la sculpture pourquoi pas ?

Il y a donc l’envie de faire un métier manuel, minutieux et artistique. Et vous arrivez à la bijouterie joaillerie par hasard ?

Parce que j’ai découvert l’école par hasard… à l’époque on ne pouvait pas trop compter sur les conseillers d’orientation. On a vu une annonce pour des portes ouvertes au Lycée de Morteau. J’habitais à Baume-les-Dames et personne ne connaissait cette formation dans mon entourage. J’y suis allée sans savoir quoi attendre et ça a été une révélation dès que je suis arrivée dans les ateliers de bijouterie ! Mes parents ont toujours dit qu’à ce moment-là mes yeux se sont mis à briller ! Je suis rentrée en section bijouterie-joaillerie au Lycée de Morteau et je n’ai jamais lâché depuis.

Et quel a été votre parcours ensuite ?

J’ai un peu galéré en France, j’ai travaillé dans des boîtes où c’était l’enfer à cause de la productivité attendue, on n’était pas loin du harcèlement moral. Après je suis partie en Suisse chez un artisan en or, un gars vraiment formidable, un graveur qui faisait du sertissage et qui m’a énormément appris. Il m’a même permis de créer une collection de bijoux. 

Et comment en êtes-vous arrivée à ouvrir votre atelier à Besançon ?

En 2006, deux anciennes collègues m’ont informée que l’atelier Dodane était à vendre à Besançon et que ce serait parfait pour moi. J’y ai vu un signe.

Vous aviez donc la volonté de travailler à votre compte. Quel a été le déclencheur ? Le besoin d’être indépendante, d’être libre de créer ?

Effectivement plein de paramètres sont liés. La Suisse, j’y suis toujours allée en me disant que c’était éphémère. Je ne voulais pas faire ma carrière en Suisse. Et en effet, au bout de cinq ans, j’avais fait le tour techniquement. J’ai toujours été attirée par l’entrepreneuriat mais c’est l’occasion qui a tout déclenché.

Quel est le bilan de vos 17 années d’entrepreneuriat ? Avez-vous des regrets ?

Pas du tout. Non, je n’ai jamais regretté ce choix, même s’il y a eu des hauts et des bas. L’entreprise a beaucoup changé depuis que je l’ai achetée. Mon prédécesseur faisait essentiellement du SAV en sous-traitance.

Je l’ai acquise en 2006, et en 2008 il y a eu une crise économique majeure. Pour maintenir leurs marges beaucoup de bijouteries ont dû baisser en gamme, les bijoux n’étaient plus réparables. J’ai donc décidé de tout changer, la bascule a été très rapide sur la création, j’ai dû reconstituer une clientèle en vendant sur dessin, puis j’ai commencé à faire des expos….

J’ai ensuite exposé à Paris. Ça a été décisif. Et petit à petit j’ai réussi à faire connaître mes créations, ma vision du métier. J’ai choisi d’aller complètement aux antipodes de ceux qui ont fait le choix de baisser en qualité pour sauvegarder leurs marges : j’ai décidé de développer une création de qualité. J’ai creusé le fossé, je me suis dit que pour exister en tant que créateur il fallait se démarquer complètement, autant en termes de qualité de travail qu’en termes de style.

J’ai toujours voulu agir avec mes clients comme j’attendais qu’un professionnel agisse avec moi, ça a toujours été ma base.

Quand je me suis lancée, j’étais jeune et je n’avais aucune culture commerciale mais je me suis dit “Voilà comment j’aimerais être traitée, donc voilà comment je vais traiter mes clients.” J’ai toujours essayé de cerner au mieux la demande de mes clients, en proposant des belles matières, des belles pierres, sans lésiner non plus sur la quantité d’or. Et puis j’ai rapidement aimé présenter autre chose, un style, une création nouvelle.

« Je me suis dit que pour exister en tant qu’artisan et créateur il fallait se démarquer, autant en termes de qualité de travail qu’en termes de style !”

Dans votre activité, il y a donc une part de création personnelle où vous vous exprimez en tant que créatrice, sans aucun filtre. Et il y a aussi une part de “sur-mesure” qui répond exclusivement à la demande des clients.

Exactement, je travaille ma recherche personnelle, mes concepts, mes créations. Et l’autre partie de mon travail consiste à cerner la demande d’un client, pour concevoir un bijou unique qui corresponde à ses attentes. 

Est-ce qu’il y a une interaction entre ces deux aspects de votre travail ? Je pense que le client qui vous demande du sur-mesure vient vous voir parce qu’il apprécie vos créations personnelles ?

Certains clients cherchent quelque chose d’assez conventionnel, et ils veulent parfois utiliser leur propre matière première parce qu’ils ont déjà une pierre par exemple. Je vais alors m’adapter en créant quelque chose de plus classique, mais j’essaye toujours d’ouvrir les perspectives aussi en présentant ce qu’il est possible de faire. D’autres clients me laissent carte blanche et attendent d’être surpris.

Commencez-vous toujours par travailler sur dessin ? J’imagine qu’en présentant les dessins, on cerne, en fonction des réactions du client, ce vers quoi il veut aller.

C’est pour ça que je prends des rendez-vous pour créer un échange et arriver à cerner aussi toute la symbolique que la personne souhaite mettre dans son bijou. Parce que c’est ça, en fait, un bijou : du symbole. On ne s’en rend pas compte, mais dans une vie il n’y a pas d’autres objets qui sont autant chargés de sens, de sentiments, de transmission. Un bijou est un objet vraiment très symbolique.

Ça marque tous les grands événements de la vie, comme les alliances lors d’un mariage par exemple. Il y a des familles qui veulent symboliser les enfants, des petits-enfants qui veulent se souvenir de leur grand-mère en remettant le diamant d’un ancien bijou au goût du jour. On est dans la transmission, la symbolique pure.

Quelles sont les lignes directrices de vos créa-tions personnelles ? On remarque souvent un travail qui matérialise d’une certaine façon les différentes étapes du bijou : la matière brute, puis la matière travaillée, et enfin le bijou abouti. Vous utilisez également la roche, le bois… Quand vous créez, est-ce que vous vous laissez porter par une inspiration ou avez-vous au contraire une ligne directrice claire que vous suivez ?

J’essaie de conceptualiser des principes souvent abstraits, je suis en perpétuelle recherche, et ensuite l’inspiration vient. Oui, j’aime marquer  l’évolution des
choses. C’est aussi un peu une piqûre de rappel
parce qu’on a conscience que ce sont des matières
naturelles, on a beau le savoir mais quand elles
sont bien taillées, brillantes, on oublie leur origine.
On oublie qu’elles sont excessivement rares, très difficiles à trouver dans la nature. J’aime donc
faire le rappel de la pierre brute. C’est aussi un lien avec l’évolution de la société, voilà ce que la nature nous donne et voilà ce que l’Homme en fait. Est-ce qu’on apporte quelque chose ou pas ? C’est aussi un questionnement. Je suis très inspirée par le mouvement déconstructiviste. 

J’utilise des lignes, des formes cubiques qui à
un moment donné rencontrent une cassure, un changement de rythme. On se demande si la nature va reprendre le dessus. C’est aussi lié à la période charnière que nous sommes en train de vivre. Nous sommes dans une période de transition. J’essaye toujours de deviner ce qui va se passer, de deviner vers quoi la société va aller et de faire ce lien. 

Vous parlez souvent de faire bouger les lignes ou sortir des lignes. Est-ce que le rapport entre la création artistique et ce qui se passe dans la société au sens plus large est important ? Est-ce que l’artiste, le créateur est un lien entre la création et la société ?

Oui, et c’est pour ça qu’aujourd’hui, plus que jamais, on a vraiment un gros travail de création à faire. Tout est à inventer, parce que la société bouge beau-coup, elle est en pleine transition. Donc la création doit suivre ces mouvements, les anticiper.

Dans l’histoire récente, il y a eu deux mouvements forts qui étaient l’Art Nouveau et l’Art Déco au début du XXesiècle. Artistiquement, c’étaient des périodes très marquées et liées au développement de l’ère industrielle. 

Je pense qu’on vit aujourd’hui une transition du même ordre, tout aussi importante mais plus lente. Pendant la période de l’Art Nouveau la reproduction de la nature était florale, végétale, très aérienne alors qu’aujourd’hui nous sommes dans quelque chose de plus “ancré” avec l’utilisation de matière brute, un peu plus lourd peut-être, mais plus enraciné. C’est plus terrien, même quasiment en sous-sol. On peut se dire aujourd’hui que l’ère industrielle était une erreur, que nous sommes allés trop loin, mais ça fait partie de notre histoire. C’est un peu comme un mouvement de balancier, il faut maintenant revenir à la nature. Il faut qu’on agisse vite, mais je ne sais pas si la vitesse est la bonne solution, nous devons agir plus en profondeur, que les racines soient là, que les fondations soient là. J’ai l’impression que le changement se fait plus de façon plus profonde.

C’est donc complètement différent de ce qui a pu se passer à l’époque de l’Art Nouveau. Par contre, c’est autant, voire plus important, parce qu’il y a une urgence vitale et du coup il faut que la transition soit plus pérenne. C’est le sentiment que j’essaye de retranscrire. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’artistes qui travaillent dans ce sens aujourd’hui, mais je ne le sens pas suffisamment dans les expos contemporaines, dans l’histoire de l’art. Il faut qu’il y ait des historiens de l’art qui arrivent à nommer cette période. C’est un ressenti, il y a quelque chose qui vibre, j’ai le sentiment qu’il va se passer quelque chose, qu’il faut que ça s’ancre dans l’esprit collectif, mais au niveau artistique pur.

Vous avez reçu des prix, des récompenses, il y a eu des expositions à Paris. Est-ce qu’aujourd’hui vous avez le sentiment d’avoir atteint un certain statut en tant que créatrice, une certaine reconnaissance ? 

Ce n’est pas encore vraiment atteint, ce sont les prémices. L’école des Arts Joailliers à Paris a choisi une de mes pièces pour illustrer un article d’un livre sur la création contemporaine en joaillerie. C’est vraiment ce que je cherchais : arriver à communiquer sur ce type de création, sur ce type de concept. Mais il faut rendre cette visibilité durable, ça ne doit pas être juste un coup d’éclat de temps en temps.

Avez-vous le sentiment que dans le domaine artis-tique la joaillerie souffre d’un déficit de reconnais-sance par rapport à d’autres disciplines telles que la peinture ou la sculpture ?

Oui, c’est lié à  l’artisanat d’art. La difficulté de mon métier est qu’on ne trouve jamais vraiment notre place entre l’artisan et l’artiste. Pour les galeries, nous n’existons pas. Au sein des corporations joaillières nous n’existons pas non plus parce que la joaillerie de création reste rare. Si j’en juge par le nombre d’exposants nous ne devons être qu’une trentaine en France.

On ne trouve donc pas vraiment notre place entre les marques, les grands noms de la place Vendôme, la grande distribution…

Quand vous dites que la plupart des joailliers ne font pas de la création, que font-ils alors ?

Généralement les joailliers font plus un travail d’artisan que d’artiste. La création pure est une grosse prise de risques. Il faut trouver son public. Communiquer sur la création et faire vraiment de la création, ce n’est vraiment pas si simple. Dans la bijouterie il y a eu un phénomène de standardisation de l’offre. Je ne peux pas m’inscrire dans cette logique. C’est un peu obsessionnel pour moi, j’ai besoin de réfléchir, de chercher tout le temps, c’est mon caractère. 

Est-ce que vous êtes satisfaite de l’accueil réservé à vos créations, que ce soit par les clients ou par les professionnels ? Êtes-vous satisfaite du chemin par-couru ?

Je ne pensais pas du tout en arriver là. Mais alors pas du tout ! Je suis la première surprise d’avoir réalisé ce rêve. Je ne pensais pas être capable un jour de créer avec autant de liberté, de l’assumer. Et la réaction de la part de mes clients est bien au-delà de mes espérances, bien au-delà de ce que j’avais imaginé. Mais en tant que créateur et qu’entrepreneur on doit se réinventer de manière perpétuelle. J’aime que chaque jour soit différent et sortir de ma zone de confort parce que je m’ennuie très vite.

Vous avez donc trouvé le métier parfait ?

Oui, finalement. Merci aux portes ouvertes du Lycée de Morteau. Comme quoi le hasard fait parfois bien les choses ! Il y a 20 ans, quand j’ai quitté la Suisse, avec un salaire suisse pour gagner trois fois moins en créant mon atelier, je l’ai fait parce que j’avais besoin de cette prise de risque et d’aller au bout de cette passion. Et je ne l’ai jamais regretté.

Nathalie Bonnemaille Joaillerie
Atelier Si t’es d’or
68 Grande Rue, 25000 Besançon

Tél. 07 49 20 07 09.  
www.bonnemaille-joaillerie.fr